Vivre en français & in English : le bilinguisme chez les enfants au Québec.

Reportage fait par Noémie Benoit.

« Dis-moi, qui est ta princesse de Disney préférée?

-C’est Snow White, ma préférée!

-Et pourquoi l’aimes-tu, Blanche-Neige [la version française de Snow White]?
-Blanche-Neige? Non, j’aime Snow White, moi! »

Cette question qui semble bien banale, posée à cette fillette camoufle pourtant un aspect important de la culture langagière bilingue. À 5 ans, Élyssa, élevée dans une famille bilingue, née de l’union d’une mère francophone et d’un père anglophone, ne comprenait pas le lien qui unissait Snow White et Blanche-Neige, pourtant le même personnage, mais dans deux langues différentes. Une rencontre avec ses parents, Claudine et Richard, m’a permis de comprendre la réalité liée au bilinguisme des enfants au Québec. Installés dans leur salon, les parents m’expliquent leur choix au niveau de la langue. Leurs deux fillettes, Élyssa et Arielle, jouent ensemble à quelques mètres de nous sans évidemment se rendre compte qu’on parle de leurs avenirs langagiers. Pour eux, la motivation première d’enseigner en même temps l’anglais et le français, c’est une question d’utilité et de facilité : c’est pour leur permettre de voyager, de se trouver un emploi dont l’un des critères serait d’être bilingue, ou d’étudier dans des domaines où la littérature est disponible la plupart du temps en anglais. « C’est pour leur rendre service, pour ne pas qu’elles soient confrontées à des barrières langagières plus tard dans leurs vies. », me spécifie la maman, Claudine, personnifiant la francophonie dans la famille. Ce couple est en accord en ce qui a trait aux motivations, mais il en est tout autrement lorsque je leur pose la question : quelle langue est la plus importante? L’anglais ou le français? Me faisant l’avocat du diable, j’obtiens une réponse relevant de la subjectivité : tout est question de préférence et d’émotions. Claudine me dit qu’elle favorise la langue française, car elle est partie prenante de ses propres origines. De son côté, Richard, le père des fillettes, se dit plus proche de l’anglais, se considérant anglophone avant tout, malgré le statut francophone de sa famille : en effet, il est né dans une famille où le français était dominant, mais aura fait sa scolarité entièrement en anglais. Donc, sa situation explique alors pourquoi il est d’avis que l’anglais est plus important en terme d’utilité sociale, compte tenu de son sentiment d’appartenance plus grand pour l’anglais que pour le français. Cette convergence d’opinion est un élément qui est revenu souvent dans l’entretien que j’ai eu avec Rushen Shi, professeure en psychologie de l’UQAM et directrice du Groupe de recherche sur le langage du département de psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Ce qu’elle-même dit souvent aux parents qu’elle rencontre dans le cadre de ses recherches scientifiques, c’est de se fier à leurs propres préférences lorsqu’il s’agit de prendre la décision d’apprendre une ou plusieurs langues à un enfant. Ainsi, il est compréhensible d’entendre parler de débats sur la langue, car au final, tout est question de préférence naturelle, ou même d’envie de préservation de la langue, notamment chez les immigrants. Le multilinguisme est très présent au Québec, et fait partie de la société québécoise notamment en raison du fort taux d’immigration. Selon le Recensement de 2011 de Statistiques Canada, Montréal, qui est une des grandes métropoles canadiennes les plus multilingues, aurait accueilli 846 645 immigrants, ce qui constitue 12,5 % du total national. Il est intéressant de voir aussi que 17,5 % des Canadiens, soit 5,8 millions de personnes, ont déclaré faire usage d’au moins deux langues à la maison[1].

Une étude du Journal of Neuroscience[2] a prouvé que d’apprendre plus d’une langue permettait des habiletés cognitives supérieures, notamment une plus grande facilité à faire face à des imprévus, des aptitudes de lecture développées, ou de plus grandes capacités créatives et analytiques. De plus, selon une étude menée par le Dr. Fergus Craik de l’Institut Rotman de Toronto, le fait de parler plus d’une langue pourrait contribuer au retard de plusieurs années (jusqu’à 5 ans) de la maladie d’Alzheimer[3].

Mais qu’en est-il des difficultés d’apprentissage pour un enfant bilingue ou multilingue? Mythe ou réalité? Cette question fut répondue avec élan par Claudine : elle est d’avis qu’aucun problème d’apprentissage ne serait lié au fait qu’un enfant apprenne 2 langues ou plus en même temps. Cet avis, elle le partage avec les professionnels d’orthophonie consultés pour ses filles qui lui ont confirmé que le fait d’apprendre une langue ou plus ne rendra pas un enfant plus lent au niveau langagier. Si plusieurs personnes croient ce mythe qui associe difficultés d’apprentissage et multilinguisme, c’est surtout parce qu’un enfant évoluant dans 2 langues ne sera pas rendu au même stade langagier qu’un enfant en apprenant qu’une seule langue. Par exemple, les orthophonistes s’entendent pour dire qu’un enfant de 2 ans a habituellement un vocabulaire de 100 mots[4]. Un enfant qui n’apprend que le français aura 100 mots francophones, et un enfant qui apprend le français et l’anglais n’aura que 50 mots francophones. Les gens, en général, font la comparaison ainsi, en supposant rapidement que l’enfant bilingue éprouve donc des difficultés langagières, en se basant sur la totalité moindre des mots en français. Cependant, ils ne prennent pas en compte que l’enfant bilingue a aussi 50 mots en anglais, donc le même nombre de mots que l’enfant monolingue, cumulé dans ses deux langues.

Le professeur au département de psychologie de l’Université McGill, Fred Genesee, croit même qu’un enfant qui mélange les deux langues dans une même phrase, est un signe qu’il est fonctionnel dans lesdites langues, et non qu’il est confus. C’est une solution pour remplacer un mot qu’il ne connait pas dans une langue par son synonyme dans l’autre langue[5]. Des études[6] ont même prouvé qu’une cohérence grammaticale est présente, dans 90 % des cas, dans les phrases bilingues prononcées par des enfants, prouvant ainsi qu’ils sont conscients de ce qu’ils disent, grammaticalement parlant. Selon une étude parue dans le magazine Scientific American[7], les bilingues prendraient moins de temps pour lire un mot qui s’écrit et qui veut dire la même chose dans les deux langues; l’exemple du mot sport qui a la même orthographe et la même signification en français et en anglais était donné. Les parents des petites Élyssa et Arielle sont de la même opinion que le professeur Genesee : ce qu’on appelle le « franglais » est habituel chez elles, « c’est comme une nouvelle langue, un nouveau dialecte pour elles ».

Et est-ce difficile pour un enfant d’apprendre une deuxième ou une troisième langue? Cette question, je l’ai posée à Mme Shi, et sans aucune hésitation, elle m’a répondu par la négative. Dans plusieurs pays du monde, le multilinguisme est fréquent. Il existerait près de 7000 langues à travers le monde[8], pour plus de 200 pays et territoires[9], cumulant donc une moyenne hypothétique de 35 langues par pays; inévitablement, les langues finissent par cohabiter ensemble. Claudine m’assure que leurs filles ne voient pas la différence entre les deux langues tellement elles les côtoient. Un exemple me permet de comprendre rapidement qu’Élyssa, l’aînée, ne fait pas la distinction rapidement de l’anglais et du français : sa mère lui demande dans quelle langue existe le mot « bed ». Elle a répondu « en français », spontanément, pour se rendre compte du contraire par après. Elle ne démontrait donc pas nécessairement d’esprit de réflexion, mais n’était pas confuse non plus; elle ne savait tout simplement pas la nature langagière de ce mot parce qu’elle connaît les deux versions, autant en anglais qu’en français.

Pour un enfant, ce sera généralement plus facile d’apprendre une nouvelle langue que pour un adulte. « Le cerveau est plus mature et perd de ses fonctions avec les années. », m’apprend donc la professeure Shi au bout du fil. Donc, on peut déduire qu’apprendre une langue, c’est comme apprendre n’importe quoi dans la vie : ce sera différent avec l’âge. Toutefois, la possibilité d’apprendre de nouvelles langues à n’importe quel moment de sa vie est toujours présente. Aussi, la différence entre un enfant qui apprend une nouvelle langue et un adulte, c’est l’environnement d’apprentissage. Un adulte voulant s’enrichir de nouvelles connaissances d’une langue étrangère pourra le faire par immersion, mais il arrive souvent qu’il le fasse par l’entremise de cours. Ce que Mme Shi m’expliquait, c’est que souvent, dans un contexte de cours où il y a un professeur et d’autres élèves, il y aura beaucoup de traduction faite dans la langue de base pour une compréhension immédiate des élèves, ou pour une communication plus facile entre chacun. Cependant, il serait donc préférable de ne pas faire de traduction, et de n’utiliser que la langue à l’étude, justement pour permettre au cerveau de se forcer davantage. Pour un enfant, ce sera une question d’environnement et de stratégies d’apprentissage. Claudine et Richard ont opté pour la stratégie linguistique laquelle propose une langue pour chaque parent. Ainsi, leurs enfants reçoivent un bagage linguistique à la fois en français et en anglais. Par contre, le désavantage réside dans la minorité d’une des deux langues : parce ce que la famille vit au Québec, l’anglais est donc plutôt en lisière de la vie des fillettes, car elles fréquentent la garderie ou l’école en français. Tout de même, Claudine me spécifie que les filles n’ont aucune difficulté à comprendre et à parler l’anglais. La situation linguistique de cette famille s’apparente aussi un peu à une autre stratégie linguistique : une langue à la maison et une autre à l’extérieur. Selon des études récentes[10] , c’est cette manœuvre qui est la plus efficace, et c’est probablement l’astuce qui est la plus utilisée par les immigrants : leur langue d’origine à la maison, et la langue du pays d’accueil à l’école, ou pour les activités culturelles/sportives. De plus, j’apprenais qu’il existe 2 types de bilinguisme : le bilinguisme simultané et le bilinguisme séquentiel. Le premier type est lorsqu’un enfant apprend 2 langues en même temps depuis la naissance. L’autre type, c’est lorsqu’un enfant apprend une deuxième langue autour de 3 ou 4 ans après la mise en place de la première langue.

C’est un mythe de penser qu’une langue peut être apprise facilement que par l’entremise de consommation de la culture; effectivement, on ne peut pas devenir complètement bilingue qu’en regardant la télévision ou en lisant des livres. Toujours assise dans leur salon, j’apprenais de Claudine et Richard qu’ils visionnaient plus fréquemment du cinéma en anglais : « On écoute les films dans leur version originale. Et les filles n’ont pas de préférences de langue pour ce genre d’élément de culture. » Le papa me glissait notamment qu’il était d’avis que c’était tout simplement parce que la culture est indépendante de la langue, et que cette dernière n’est seulement qu’un outil. Ce que Mme Shi me disait, c’est que, malgré la consommation de films, d’émissions, de livres, de spectacles, ou de jeux, il est essentiel d’établir une communication directe dans la langue qu’on souhaite apprendre. Le vocabulaire peut être enrichi par l’entremise de la culture, mais il ne peut pas être la source première d’une éducation de langue. Même la recherche de la Dre. Patricia K. Khul, professeure d’orthophonie, prouve qu’un enfant a besoin d’une communication provenant d’une personne interagissant directement avec lui si l’on veut qu’il développe les catégories de son d’une langue[11]. Il est intéressant de comprendre aussi qu’un bébé, à la naissance, est dans la capacité d’exécuter n’importe quels sons de n’importe quelles langues : c’est cependant en les entendant fréquemment qu’il les enregistrera mentalement et pourra les mettre en pratique par après, d’où l’importance de la communication directe. Et une langue est d’autant plus facile à perdre lorsqu’elle n’est pas pratiquée; dans ce cas, ce n’est pas comme faire du vélo, dont on dit ne jamais perdre l’habileté. Mme Shi me soulignait donc l’importance d’exercer une pression de communication chez l’enfant si l’on veut qu’il s’imprègne de la langue complètement. Et un enfant ne fait pas la différence entre un besoin et un intérêt. Il sera porté à utiliser une langue seulement s’il en a réellement besoin. Autrement, il la laissera de côté. Leur réflexion est différente des adultes qui développent souvent des intérêts par eux-mêmes. Plus tard, le niveau de la langue sera acquis selon le besoin de communication; une personne vivant en Asie aura évidemment moins la chance de s’exprimer en français, ainsi le besoin de communication sera moins grand et le risque de perdre la langue, plus élevé.

Et qu’en est-il des autres langues pour l’éducation des petites Élyssa et Arielle? Claudine et Richard ne semblent pas se questionner sur cet aspect : ça allait de soi qu’elles apprennent les deux langues officielles canadiennes, par question de racines et de commodité. Autrement, une troisième langue n’est pas nécessairement dans les plans de ces parents, notamment parce qu’ils ne ressentent pas le besoin pour l’instant de faire de leurs filles des enfants trilingues, et qu’ils ne veulent pas ajouter à leur quotidien déjà bien occupé des cours de langues étrangères. Mais ils m’assurent que ce n’est pas une option à éliminer pour plus tard, et que s’ils ont la chance, dans un cadre scolaire, de faire suivre des cours d’espagnol ou une langue autre à leurs enfants, ils saisiront l’opportunité. Justement, c’est à ce moment que je me suis intéressée à la future éducation des jeunes fillettes. « Le primaire étant déjà enclenché dans la langue de Molière, ce sera pareil pour le secondaire? », demandais-je aux parents. Bien évidemment, ils ne semblent pas décidés complètement, mais ils aspirent à ce que leurs filles fassent leur éducation secondaire en anglais. Claudine m’explique que c’est une question de respect mutuel; si elle veut faire respecter son choix personnel par rapport à la langue française, elle devra aussi faire des compromis au niveau de l’éducation pour satisfaire aux désirs linguistiques de son conjoint. Il serait inconcevable pour la mère que ses enfants ne puissent pas bien maîtriser sa langue maternelle, même si, selon Mme Shi, les enfants ont tendance à choisir la langue des amis rendus à l’adolescence. Au final, ce sera aux enfants de faire le choix de se considérer comme anglophone ou francophone en tant que personne; elles auront au moins tous les outils linguistiques à leurs dispositions.

 

 

[1] Gouvernement du Canada. Recensement de 2011. In: Statistiques Canada [en ligne]. Gouvernement du Canada. 2011 [consulté le 2 décembre 2014] Disponible sur: http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/index-fra.cfm

[2] B.T. Gold, N.F. Johnson, C. Kim, R.J.Kryscio, C.D.Smith. Lifelong Bilingualism Maintains Neural Efficiency for Cognitive Control in Aging. The Journal of Neuroscience [en ligne]. 2013 [consulté le 2 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.jneurosci.org/content/33/2/387.full.pdf+html

[3]American Academy of Neurology. Delaying the onset of Alzheimer disease. In: The Official Journal of the American Academy of Neurology [en ligne]. 2010 [consulté le 2 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.neurology.org/content/75/19/1726.abstract?sid=1990049a-52c7-4b60-b8d9-9d041244ec39

[4] Dubé, Maude. Le développement du langage chez l’enfant de 1 à 2 ans. In: Éducatout [en ligne]. [consulté le 5 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.educatout.com/activites/stimulation-langage/le-developpement-du-langage-chez-l-enfant-de-1-a-2-ans.htm

[5] Rose,Benoit. Le cerveau est bilingue: les mythes et malentendus entourant l’acquisition de deux langues chez l’enfant. Le Devoir [en ligne], 5 mai 2012 [consulté le 2 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.ledevoir.com/societe/education/349121/le-cerveau-est-bilingue

[6]ibid.

[7]Chan, Amanda L. Apprendre une langue étrangère: 7 raisons de parler une autre langue (ou plus). Le Huffington Post Québec [en ligne]. 21 juin 2014 [consulté le 2 décembre 2014]. Disponible sur: http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/06/21/apprendre-une-langue-etrangere-7-raisons-de-parler-une-autre-langue-ou-plus_n_5517720.html

[8] Anderson, Stephen R.  How many languages are there in the world? In: Linguistic Society of America [en ligne]. 2010 [consulté le 5 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.linguisticsociety.org/content/how-many-languages-are-there-world

[9] Centanni, Evan. How many countries are there in the world in 2014? In: Political Geography Now [en ligne]. 2014 [consulté le 5 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.polgeonow.com/2011/04/how-many-countries-are-there-in-world.html

[10] Grosjean, François. Le bilinguisme planifié chez l’enfant: questions à se poser. Le Huffington Post France [en ligne]. 7 février 2013 [consulté le 5 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.huffingtonpost.fr/francois-grosjean/conseils-enfant-bilingue_b_2630401.html

[11] Kuhl PK, Tsao FM, Liu HM. Foreign-language experience in infancy: effects of short-term exposure and social interaction on phonetic learning. Proc Natl Acad Sci USA. 2003 [consulté le 5 décembre 2014]. Disponible sur: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12861072

La connaissance de soi

Par Céline Boissonneault, coordonnatrice du CARPH.

Pour le numéro de février, je vous partage un article fort intéressant qui pose un regard humaniste sur la question de la connaissance de soi. Qu’est-ce que « se connaître », et comment se connaît-on? Jacques Quintin, docteur en philosophie et professeur à l’Université de Sherbrooke propose une réflexion sur le sujet en lien avec l’herméneutique de Gadamer, notamment. Je vous invite à lire ce texte (La connaissance de soi, Quintin) et si cela vous intéresse, à venir consulter d’autres ouvrages connexes disponibles au CARPH!

 

Parlant de psychologie humaniste, lecture et de dialogue, je vous invite à noter les dates de prochains midis causeries du CARPH. Nous serons privilégiés de recevoir trois professeurs de la section humaniste :

 

Lundi le 2 mars à 12H30 : Mme Mélanie Vachon, Ph.D.

Jeudi le 19 mars à 12H30 : M. Chrstian Thiboutot, Ph.D.

Mercredi le 1er avril à 13H : Mme Valérie Bourgeois-Guérin, Ph.D.

 

 

 

Référence de l’article :

 

Le suicide

Par une bénévole du Centre d’écoute et référence.

Émile Durkheim, sociologue français, définit le suicide comme suit : « Tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif accompli par la victime elle-même et qu’elle savait produire ce résultat. »

Si des facteurs de risque existent, il n’y a pas de signe prédictif franc. C’est un acte qui peut être commis par tout un chacun, il est donc important de savoir quelles sont les ressources disponibles pour limiter les risques de passage à l’acte.

Selon Statistiques Canada, « La recherche indique que la maladie mentale est le facteur de risque le plus important du suicide et que plus de 90 % des personnes qui se suicident souffrent d’un trouble mental ou de dépendance. La dépression est la maladie la plus courante chez les personnes qui meurent à la suite d’un suicide, et environ 60 % souffrent de cet état pathologique. Aucun facteur déterminant, y compris la maladie mentale, ne suffit à lui seul à provoquer un suicide. Habituellement, le suicide résulte plutôt de l’interaction de nombreux facteurs, notamment : la maladie mentale, l’échec du mariage, les difficultés financières, la détérioration de la santé physique, une perte importante, ou un manque de soutien social. »

Il faut savoir que chaque jour, trois Québécois s’enlèvent la vie. Si le nombre de tentatives de suicide est à peu près égal entre les femmes et les hommes, ces derniers représentent 80% des personnes décédés par suicide. Enfin en 2011, 1105 personnes sont décédées par suicide, sans compter ceux qui ont fait des tentatives.

Les tableaux suivant permettent de donner un aperçu de la situation du suicide au Québec :

suicide1

suicide2

Si les jeunes ne sont pas la population la plus touchée, ils sont tout de même à surveiller, car ils présentent des éléments de fragilité face au risque suicidaire :

  • Ils sont plus souvent attachés à des idéaux, des valeurs essentielles à leurs yeux placées au-delà de toute autre cause. Un surinvestissement dans cette sphère rationnelle peut amener à délaisser l’écoute de ses émotions, et donc le soin qu’on peut y apporter.
  • On observe des conduites dangereuses ou des comportements de défis dans une proportion plus importante chez les moins de 25 ans que chez le reste de la population. Ils ont tendance à moins se rendre compte des risques qu’ils prennent, ou à volontairement les ignorer.
  • De même, les problématiques dépressives ou anxieuses s’y retrouvent plus souvent.

Par exemple en 2009, 202 personnes âgées de 15 à 19 ans se sont suicidées, ce qui représente presque un quart (23 %) de tous les décès dans ce groupe d’âge, soit une augmentation par rapport au 9 % en 1974.
Un bon moyen de réduire le risque suicidaire est d’agir en matière de prévention. Chacun est à même d’en être un acteur, auprès de soi et des autres.

On considère généralement trois types de prévention :

  • La prévention primaire, sans qu’il y ait eu de demande spécifique (ex. : une présentation faite en classe par des intervenants externes, des parents qui abordent le sujet avec leur enfant).
  • La prévention secondaire, auprès de quelqu’un qui a exprimé un désir suicidaire ou fait une tentative de suicide. Elle vise à lui apporter le soutien nécessaire face à son vécu de souffrance (ex. : un psychologue consulté suite à une tentative de suicide).
  • La prévention tertiaire, dans l’entourage d’une personne décédée par suicide (ex. : un groupe de discussion pour la famille de la personne suicidée).

Si l’on se sent à risque suicidaire ou qu’on se pose des questions concernant un proche, il ne faut pas hésiter à en parler pour agir avant qu’il ne soit trop tard. Il y a certains premiers signes repérables qui peuvent alerter. Par exemple, la personne a des insomnies, donne ses objets de valeur à des amis, se plaint de maux de tête ou de ventre, est fatiguée, désinvestit ses études ou son travail, se ferme sur elle-même… La personne qui pense au suicide ne se plaint pas forcément de sa souffrance.

Si l’on est le confident d’un ami qui exprime un désir suicidaire, il faut savoir exprimer fermement son désaccord, lui faire part de notre souci et éventuellement en parler à l’extérieur.

Attention, il faut toutefois distinguer le fait de se questionner sur la mort, voire sa propre mort (ce qui peut arriver à tout le monde), du fait de planifier sa mort.

En tant qu’étudiant de l’UQAM, il est possible d’obtenir de l’assistance au Centre d’écoute et de référence si l’on se sent à risque suicidaire ou que l’on s’inquiète pour un proche . En effet, il a pour mission d’offrir un service d’écoute face-à-face ou téléphonique à la population étudiante de l’UQAM et à la population environnante en réponse à toutes formes de détresse. Son but est d’aider la personne à développer ses ressources dynamiques afin de lui permettre de faire face aux difficultés personnelles qu’elle traverse et aux variations de son environnement social.

 

Le Centre d’écoute et de référence est disponible de 9h à 18h, du lundi au jeudi et de 9h à 17h le vendredi.

 

Centre d’écoute et de référence
1259 rue Berri, 10ème étage
UQAM, Local AC-10100
Tél. :514-987-8509
centre_ecoute@uqam.ca
www.facebook.com/centre.ecoute

 

 

Références

Émile Durkheim (1897). Le suicide. Étude de sociologie. Paris : Les Presses universitaires de France.

Conférence de consensus de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé, 2001

Association québécoise de prévention du suicide. (2013) Documents et statistiques [en ligne]. Repéré à http://www.aqps.info/comprendre/documents-statistiques.html

Navaneelan, T. (25 juillet 2012). Les taux de suicide : un aperçu [en ligne]. Repéré à http://www.statcan.gc.ca/pub/82-624-x/2012001/article/11696-fra.htm

Inflammation cérébrale et dépression majeure

Par Jonathan Elie-Fortier, coordonnateur du CAREN.

Une équipe de chercheurs pense que des processus inflammatoires au cerveau pourraient expliquer en partie pourquoi certains individus développent une dépression majeure.

De manière succincte, nous pouvons comprendre la dépression majeure comme une psychopathologie qui est à la fois physique et mentale. La personne en état de dépression majeure peut présenter plusieurs symptômes tels la fatigue, la perte d’énergie, une difficulté à rester concentrée, des problèmes de sommeil, un changement du poids corporel, et une perte du plaisir. Or, plusieurs de ces symptômes ressemblent aussi à ce qu’une personne peut vivre lorsque son système immunitaire s’active pour défendre l’intégrité du corps. C’est dans cette tentative d’explorer les liens entre dépression et inflammation qu’une équipe du Centre for Addiction and Mental Health à Toronto a étudié un groupe d’individus en état de dépression majeure, et plus spécifiquement leur niveau d’inflammation cérébrale.

L’inflammation est un processus immunitaire essentiel à notre rétablissement suite à une atteinte aux tissus du corps. Elle provoque une augmentation de l’afflux sanguin à l’endroit où le corps est endommagé et contribue ainsi à la réparation des tissus. En accomplissant ce rôle, l’inflammation cérébrale peut aussi mener vers des symptômes déplaisants si elle est trop importante : fièvre, fatigue, mal de tête et confusion mentale. Si ces symptômes sont suffisamment intenses, on parle alors d’une encéphalite.

Dans la population présentant une dépression majeure, l’inflammation avait déjà été mesurée avec des marqueurs sanguins. Cependant, c’est la première fois que des données sur l’inflammation provenant directement du cerveau sont obtenues. L’équipe du Dr Jeffrey Meyer s’est intéressée aux cellules du système immunitaire cérébral, plus spécifiquement connues sous le nom de microglies. Celles-ci, présentes dans le cerveau ainsi que dans la moelle épinière, jouent un rôle important dans la cascade moléculaire qui déclenche l’inflammation cérébrale.

Pour voir s’il y a effectivement une corrélation entre l’inflammation cérébrale et la dépression chez l’humain, l’équipe du Dr Meyer a utilisé l’imagerie cérébrale par tomographie à émission de positrons (TEP), afin de mesurer l’activité métabolique des microglies chez 20 individus atteints de dépression majeure. Plus précisément, ils ont ajouté un marqueur faiblement radioactif à une molécule utilisée surtout par les mitochondries de ces microglies pour générer de l’énergie. Puis, ils ont injecté plusieurs copies de cette molécule dans le sang des participants. Finalement, ils ont regardé si les microglies étaient plus actives dans le cortex frontal, le cortex cingulaire antérieur et l’insula des patients en mesurant la concentration du traceur radioactif à chacun de ces endroits et en comparant avec un groupe contrôle.

Les résultats de ces analyses ont montré que l’activité des microglies était 30% plus élevée dans le cerveau des personnes atteintes de dépression majeure que chez les participants du groupe contrôle, ce qui indique une inflammation cérébrale plus importante. Ce résultat était obtenu dans les trois aires cérébrales visées. Les niveaux d’inflammation étaient aussi les plus élevés chez les individus dont les symptômes de dépression étaient les plus lourds.

Cette découverte, publiée dans le journal de l’Association médicale américaine, section « Psychiatrie », permet de penser que l’utilisation des anti-inflammatoires pourrait avoir des effets bénéfiques sur la dépression majeure chez certains patients si l’inflammation cérébrale s’avère être un facteur causal de ce trouble mental.

 

 

Événements à venir au CAREN:

13 Février

Comment rapatrier scientifiquement « l’autre » moitié de la vie mentale : tutoriel sur la signalisation extra synaptique

Une conférence ouverte à tous et à toutes offerte par le Centre d’activités et de ressources étudiantes en neuroscience (CAREN) en affiliation avec le Cercle de recherche en sciences cognitives (CRISCo) sera donnée par le professeur Claude M.J. Braun, Ph.D., le 13 février à 13 heures, au local W-5215.

18 Février

Le merveilleux monde des réponses auditives sous-corticales

Une conférence ouverte à tous et à toutes offerte par le Centre d’activités et de ressources étudiantes en neuroscience (CAREN) sera donnée par Diana Arias, étudiante au doctorat en neuropsychologie, le 18 février à 13 heures,  au local SU-1380.

 

Référence :

Setiawan, E., Wilson, A.A., Mizrahi, R., Rusjan, P.M., Miler, L., Rajkowska, G., … Meyer, J.H.. (2015). Role of translocator protein density, a marker of neuroinflammation, in the brain during major depressive episodes. JAMA Psychiatry. doi: 10.1001/jamapsychiatry.2014.2427

La nécessite de la formation critique en psychologie

Par Pier-Olivier Caron, laboratoire des sciences appliquées du comportement, UQAM.

L’un des objectifs du baccalauréat en psychologie est l’acquisition de bonnes connaissances en méthodologie et en statistiques afin que l’étudiant développe un esprit critique face à la littérature scientifique qu’il devra, une fois ces études complétées, consommées. Une récente revue de la littérature démontre qu’une telle formation est pertinente d’abord parce que la plupart des gens tout-venant (l’homme de la rue ou le profane si vous désirez) ont une attitude naïve par rapport à l’information qu’ils reçoivent et, ensuite, car cette attitude est difficile à modifier (Fisherman & Melville, 2014). Voici une brève description de leurs résultats.

L’étude montre que 68 % des gens croient les statistiques sans réfléchir. Ce nombre augmente à 84 % lorsqu’on leur en présente un deuxième. La crédulité atteint jusqu’à 92 % lorsque l’auteur ajoute des graphiques et des références. Par ailleurs, les plus crédules des lecteurs (60 %) prennent le contenu des livres comme véridique, mais le meilleur prédicteur (β = 0,86, r = 0,68, p < 0,01) est plutôt le genre de la lecture (scientifique, policier ou fantastique). Enfin, s’ils lisent un article scientifique plutôt qu’une monographie, 89 % des individus rapporteront le contenu comme véridique malgré les leurres de l’expérimentateur. Pire, l’étude montre une différence significative (p < 0,05) entre le nombre d’éléments faux rapportés (M = 10,6, ET = 2,1) et d’éléments vrais (=7,8, ET = 2,0). Comme quoi les faussetés sont plus faciles à avaler que les vraies.

C’est le pot aux roses! Il est impératif que tous les étudiants en psychologie suivent leurs cours de méthodologie de la recherche et d’analyse quantitative. Je ne suis pas du genre à pêcher, mais la mer est remplie de poissons.

Saviez-vous que… Il existe plusieurs formes d’amour ?

Par la stagiaire en sexologie du Centre d’écoute et de référence.

Ce mois-ci, je vous présente une théorie intéressante dans laquelle il est possible de se reconnaître! Il s’agit de la théorie triangulaire de l’amour de Sternberg.

Les trois pointes du triangle représentent des éléments de base significatifs en amour, soit la passion (attraction physique et désir sexuel), l’intimité (sentiment de proximité et lien de confiance), ainsi que l’engagement (investissement, intention de vouloir construire une relation durable avec l’autre).

Cette théorie divise l’amour en 7 types, selon le positionnement des éléments de base mentionnés ci-haut :

Amitié Se rapproche de l’amitié vraie et profonde.
Ex. : la relation avec son meilleur ami.
Amour romantique Passion et intimité, mais sans garantie d’engagement.
Découverte, admiration et réciprocité entre les deux personnes.
Ex. : typique des débuts de relations amoureuses.
Amour entiché Constitué seulement de passion.
Ex. : Coup de foudre qui peut arriver et partir rapidement.
Amour admiratif Passion et engagement, mais pas d’intimité.
Ex. : mariage rapide sans avoir vérifié si les personnes sont faites l’une pour l’autre.
Amour vide Partenariat. La routine domine la relation. Seulement une forme d’engagement.
Ex. : mariage arrangé ou les couples qui ne communiquent plus ensemble.
Complicité Intimité et engagement. Amitié à long terme.
Ex. : couple de très longue durée, mais passion atténuée
Amour consommé Serait l’idéal de l’amour, mais difficile à obtenir et à maintenir!

*Les combinaisons possibles et l’intensité peuvent varier.

 

En terminant cette rubrique, il est pertinent de se rappeler que les personnes peuvent avoir des motivations différentes dans une relation amoureuse et que ces personnes peuvent s’aimer de façon différente aussi. Cela peut nous encourager à communiquer avec notre partenaire à propos des attentes associées à notre relation de couple.

 

Pour toutes questions, je suis disponible les mardis et jeudis pour vous rencontrer!

 

Centre d’écoute et de référence
1259 rue Berri, 10ème étage
UQAM, Local AC-10100
Tél. :514-987-8509
centre_ecoute@uqam.ca
www.facebook.com/centre.ecoute

Référence

Sternberg, R. J. (1986) A triangular theory of love. Psychological Review, 93, 119-135.
Université McGill. (s.d). Le cerveau à tous les niveaux. Récupéré de : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_04/i_04_p/i_04_p_des/i_04_p_des.html.

Ces voix oubliées : un programme de rétablissement en santé mentale

Par Marjolaine Gascon Depatie, étudiante au doctorat en psychologie communautaire, UQAM.

CVO logo

Bien que l’évaluation de programme puisse sembler très théorique et axée sur la recherche, elle n’en demeure pas moins stimulante et engageante. Voici un exemple concret d’une évaluation menée dans le cadre d’un stage au doctorat en psychologie communautaire.

 

Le programme Ces Voix Oubliées

Initié à St-Jean-sur-Richelieu il y a une dizaine d’années, le programme Ces Voix Oubliées a été mis sur pied afin de favoriser le rétablissement des personnes vivant avec un problème de santé mentale. Il s’agit d’une chorale qui offre une opportunité unique aux participants de suivre des cours de chant en groupe et individuellement, et ce, deux fois par semaine pour une période de neuf mois. En plus de quelques activités sociales et d’un concours de logo, un CD est aussi enregistré durant cette période. Le programme culmine lors du spectacle de fin d’année où la chorale performe devant un public de plus de 500 personnes. La philosophie du programme est de miser sur la partie saine de l’individu. En effet, M. Serge Vincent Raymond, animateur et directeur de l’association, ne tient pas compte des diagnostics des participants. Il travaille avec eux comme il le ferait dans tous ses cours de chant. Évidemment, un intervenant est toujours présent dans les locaux en cas de problème, et chaque participant a un intervenant externe qui peut assurer un suivi au besoin. Cela dit, règle générale, la maladie mentale n’est pas abordée dans la chorale Ces Voix Oubliées.

 

Évaluation du programme

Avec les années, de nombreuses histoires à succès retentirent et les responsables ont décidé d’entreprendre une démarche rigoureuse d’évaluation des effets de leur programme. En partenariat avec une étudiante en psychologie communautaire de l’UQAM, la première étape fut de former un petit comité de recherche afin d’inclure des participants passés, des bénévoles, des intervenants, des décideurs et des bailleurs de fonds afin d’élaborer et de co-construire un devis d’évaluation. En tant que psychologue communautaire, un point d’honneur est mis à intégrer activement les membres de la communauté visée dans l’élaboration du projet de recherche. Il a été décidé de suivre une cohorte sur une période d’un an et d’évaluer leur rétablissement à l’aide d’un devis mixte. Des questionnaires ont été administrés avant le début de la chorale 2014-2015, et seront administrés à nouveau un mois après le spectacle de fin d’année, ainsi que quatre mois plus tard. Des entrevues qualitatives ont aussi été conduites afin de recueillir leurs impressions au début de leur démarche. Une autre série d’entrevues aura lieu quatre mois après le spectacle de fin d’année. Pour compléter la collecte de données, des observations terrain ont aussi été faites tout au long de l’année. Finalement, par souci d’inclure les participants des cohortes passées, nous avons contacté des participants pigés au hasard dans chacune des neuf cohortes antérieures afin d’évaluer les effets du programme à long terme.

 

Un rapport détaillé sera remis aux CSSS partenaires et à la Fondation Ces Voix Oubliées, ce qui leur permettra de mieux comprendre les effets de leur programme et peut-être d’en faciliter la pérennité. Enfin, nous espérons que cette démarche d’évaluation puisse faire évoluer CVO et que ce programme pourra faire des petits dans d’autres régions où les ressources en santé mentale se font rares. En tant que future psychologue communautaire, c’est un privilège d’être témoin et de contribuer à ces belles initiatives locales.

Il vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade

Par Louis-Philippe Côté, doctorant en psychologie communautaire, UQAM.
Membre de l’Association des Étudiant-E-s en Psychologie Communautaire (ASEPCOM)

 

« Vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade ». Cette citation provenant du  monologue « L’argent » d’Yvon Deschamps illustre bien la relation entre le revenu et la santé. Il est maintenant reconnu que les pauvres vivent en moins bonne santé que les mieux nantis. À titre d’exemple, à Montréal en 2006-2008, l’espérance de vie des résidents du territoire CLSC Hochelaga-Maisonneuve était en moyenne de 74 ans, alors qu’elle était de 85 ans pour ceux de Saint-Laurent.

Ces inégalités ne touchent pas seulement la longévité, mais également la santé mentale et le bien-être. De plus, elles ne concernent pas seulement les individus se situant aux extrémités du continuum économique, car elles s’observent à chaque gradient de l’échelle sociale. Ainsi, les cadres supérieurs jouissent en moyenne d’une meilleure santé que les cadres inférieurs, et ces derniers jouissent d’une meilleure santé que les travailleurs qualifiés, qui, eux, ont une meilleure santé que les travailleurs non qualifiés.

La théorisation des mécanismes à l’origine de ces variations constitue un grand défi scientifique, car elle nécessite la mobilisation de savoirs provenant de disciplines n’ayant pas l’habitude de cohabiter : la médecine, l’épidémiologie, la psychologie, la sociologie, les sciences politiques et la philosophie se côtoient dans les corridors de la santé publique. Voici la question à un million de dollars, le Saint Graal de l’épidémiologie sociale : comment la stratification sociale s’incorpore-t-elle sous la peau? Trois grandes hypothèses sont généralement avancées pour expliquer les écarts de santé entre les riches et les pauvres.

Selon la première hypothèse, les individus vivant en situation de pauvreté sont plus vulnérables au développement de maladies chroniques, car ils vivent fréquemment dans des environnements néfastes pour leur santé. Par exemple, ils peuvent habiter des quartiers pollués, qui sont mal desservis par les services publics et sanitaires, où l’incidence de problématiques sociales comme la criminalité et la toxicomanie est élevée. Ils ont également peu de ressources pour faire face aux défis du quotidien et pour accéder à une alimentation saine.  Les tenants de cette explication prônent généralement une redistribution plus équitable des ressources dans la société. Par exemple, afin d’améliorer la santé des individus en situation de pauvreté, ils proposent d’imposer davantage les individus les plus fortunés et les entreprises qui génèrent d’importants profits afin d’améliorer le filet de sécurité sociale, d’accroître l’accessibilité aux logements sociaux et aux services sociosanitaires, et d’offrir des prestations d’assistance et de solidarité sociale plus généreuses aux individus démunis.

Selon la deuxième hypothèse, les individus vivant en situation de pauvreté sont plus souvent malades, car ils expérimentent un stress psychosocial, c’est-à-dire un stress dont l’origine est sociale. Par exemple, ils sont constamment confrontés à leur pauvreté quand ils se promènent dans la rue, quand ils passent devant les vitrines des grands magasins, ou quand ils regardent les stars à la télévision. Cette situation affecterait leur santé mentale, car ils se comparent continuellement à des individus qui ont « mieux réussi » qu’eux dans la vie. De plus, ils ont généralement moins de pouvoir et de contrôle dans leurs milieux de vie et ils occupent la plupart du temps des emplois qui sont socialement peu valorisés. Cette absence de pouvoir, de contrôle et de sources de valorisation induiraient un stress constant qui, à la longue, affaiblirait leur système immunitaire et favoriserait le développement de problèmes de santé chroniques comme les maladies cardio-vasculaires. Les tenants de cette explication ont tendance à être favorables au financement de programmes sociaux et d’organismes communautaires qui permettent aux individus vivant en situation de pauvreté de se regrouper pour s’entraider, développer leurs compétences, et améliorer leur estime de soi.

Selon la troisième hypothèse, les individus vivant en situation de pauvreté sont plus souvent malades, car ils ont tendance à adopter un style de vie néfaste à leur santé et parce qu’ils prennent souvent de mauvaises décisions. Par exemple, les pauvres consomment plus d’alcool, de tabac, de restauration rapide et font moins d’exercice. Ces choix et ces comportements seraient attribuables à un manque d’éducation, des incapacités individuelles (ex. : une intelligence inférieure), et certains traits de personnalité (ex. : l’impulsivité). Les individus qui privilégient cette explication sont généralement favorables au financement des programmes de promotion de la santé axés sur l’éducation aux saines habitudes de vie, la modification des comportements et des styles de vie.

Chacune de ces explications comporte ses forces et faiblesses, implique différents types de solutions et sous-tend différents jugements de valeur. Par exemple, selon les tenants de la première hypothèse, une meilleure répartition de la richesse collective serait la solution à privilégier pour réduire l’écart de santé entre les riches et les pauvres. Cet argument comporte une importante faiblesse : un transfert de fonds allant des plus favorisés aux plus défavorisés ne se traduira pas nécessairement par plus de dépenses individuelles favorables à la santé. Il serait, par exemple, surprenant qu’un individu qui a une problématique de toxicomanie réduise sa consommation tout simplement parce qu’il reçoit plus d’argent chaque mois. Un apport financier supplémentaire, s’il peut aider à amoindrir les impacts négatifs des facteurs environnementaux associés à la consommation (ex. : payer son loyer, éviter l’endettement auprès d’usuriers), n’est généralement pas suffisant pour modifier ce type de comportement. Des habitudes de vie, c’est difficile à changer. Nous n’avons qu’à penser aux fameuses résolutions du Jour de l’an.

Pour ce qui est de la deuxième explication, elle ne remet pas en cause les structures socio-économiques d’oppression qui produisent des inégalités de santé. Il est bien sûr louable d’améliorer l’estime de soi et les capacités des individus marginalisés ou vivant en situation de pauvreté. Par contre, tant que les économies politiques des États seront structurées de façon à consolider et promouvoir les intérêts de leurs classes dominantes, qu’une minorité de privilégiés s’accapareront la majorité de la richesse mondiale, et qu’il y aura diverses formes de discrimination systémique envers différents groupes sociaux (ex : racisme, sexisme, classisme), il y aura des individus vivant dans la misère et la pauvreté. Bien que les mesures gouvernementales comme la hausse du salaire minimum, les prestations de solidarité sociale, l’impôt sur le revenu, la taxation des transactions économiques et les politiques de discrimination positive ne soient pas des solutions suffisantes pour endiguer la misère, elles demeurent des mesures nécessaires au respect de l’autonomie des individus les moins fortunés et marginalisés, ainsi qu’au financement des politiques et programmes sociaux favorisant leur santé et leur bien-être.

La principale faiblesse de la troisième explication est qu’elle individualise les problèmes sociaux. S’il est vrai qu’une approche axée sur l’éducation implique la reconnaissance du potentiel des individus vivant en situation de pauvreté, le fait de ne pas prendre en compte l’influence de leurs conditions de vie sur les choix qu’ils font au quotidien peut nous amener à entretenir de nombreux préjugés et à ignorer les solutions politiques: si les caractéristiques individuelles (ex. : la personnalité, l’intelligence), la responsabilité individuelle et l’éducation familiale sont les principaux déterminants des inégalités sociales de santé, il peut alors paraître inefficace, voire impertinent et injuste, d’intervenir sur la santé des populations par le biais de la redistribution de la richesse et par l’élaboration de politiques publiques universelles. Comme disait Margaret Thatcher, célèbre apôtre du discours néo-libéral promouvant la non-régularisation des marchés et le démantèlement des États, « La société n’existe pas. Il n’y a que des individus et des familles. »  De plus, ce type d’explication implique que nous savons ce qu’est une bonne vie et qu’il est légitime de vouloir changer ou contrôler les individus qui ne veulent pas vivre de cette façon, ou encore, de se désolidariser d’eux. Il s’agit donc d’une approche susceptible d’être appliquée de façon moralisatrice et paternaliste.

La revue de ces trois hypothèses explicatives nous amène à faire trois constats : il ne semble pas exister de solution miracle pour éradiquer les inégalités sociales de santé; différentes stratégies d’intervention psychoéducatives, communautaires et politiques peuvent s’avérer efficaces à soulager la souffrance et à améliorer la qualité de vie des individus vivant dans la misère et la pauvreté; les théories explicatives sous-tendant ces stratégies d’intervention sont associées à différents courants idéologiques.

Ce dernier élément nous amène à réfléchir à la relation entre science et philosophie : l’objectivité scientifique est-elle un critère possible et souhaitable en sciences humaines? Il s’agit d’un important débat. Certains intellectuels affirment que oui. Dans ce cas, les théories scientifiques en sciences humaines ne seraient pas nécessairement fondées sur différentes visions du monde. Elles seraient plutôt récupérées par certains acteurs de la société et amalgamées avec leurs discours politiques afin de promouvoir leurs idéologies.

D’autres affirment le contraire : les théories scientifiques en sciences humaines seraient construites et formulées à partir de biais éthico-politiques. Tout scientifique serait donc, d’une manière ou d’une autre, un idéologue. Comme l’affirme Collier (1994):

“A good part of the answer to the question « why philosophy? » is that the alternative to philosophy is not no philosophy, but bad philosophy. The « unphilosophical » person has an unconscious philosophy, which they apply in their practice – whether of science or politics or daily life. (Collier, 1994: 17). »

Scientifique ou idéologue? Scientifique et idéologue? Quoi qu’il en soit, tout idéologue n’est pas un scientifique, et c’est bien là que les scientifiques et les philosophes peuvent  apporter leur contribution à la chose publique : en exigeant que les discours politiques soient fondés sur des données empiriques et sur une argumentation rationnelle robuste, ils peuvent élever la qualité des débats publics, et ainsi renforcer la validité de l’exercice démocratique.

 

 

Références:

Carlisle, S. (2001). Inequalities in health: contested explanations, shifting discourses and ambiguous policies. Critical Public Health, 11(3), 267-281.

Coburn, D. (2004). Beyond the income inequality hypothesis: class, neo-liberalism, and health inequalities. Social science & medicine58(1), 41-56.

Collier, A. (1994). Critical realism: An introduction to the philosophy of Roy Bhaskar.

Gottfredson, L. S. (2004). Intelligence: is it the epidemiologists’ elusive » fundamental cause » of social class inequalities in health? Journal of personality and social psychology86(1), 174.

Le Blanc, M. F., Raynault, M. F., & Lessard, R. (2011). Rapport du directeur de santé publique 2011 : Les inégalités sociales de santé à Montréal – Le chemin parcouru. Montréal, Québec: Direction de santé publique de Montréal.

Mirowsky, J., & Ross, C. E. (1998). Education, Personal Control, Lifestyle and Health A Human Capital Hypothesis. Research on Aging20(4), 415-449.

Raphael, D. (2011). A discourse analysis of the social determinants of health. Critical Public Health21(2), 221-236.

Seedhouse, D. (2004). Health promotion: philosophy, prejudice and practice. John Wiley & Sons.

Wilkinson, R. G., & Marmot, M. G. (Eds.). (2003). Social determinants of health: the solid facts. World Health Organization.

Quand notre cerveau a besoin de fierté

François Richer, chercheur en neuropsychologie et professeur à l’UQAM, nous explique en quoi la fierté est un besoin essentiel. Il écrit au sujet des fonctions de ce sentiment, de son développement, et des impacts sur la santé mentale d’un manque ou d’un trop plein de fierté.

Cliquer ici pour lire la suite

Référence :

Richer, F. (2015, 18 janvier). Quand notre cerveau a besoin de fierté [Billet de blogue]. Repéré à http://quebec.huffingtonpost.ca/francois-richer/cerveau-besoin-fierte_b_6481352.html

Vivre l’Aventure

évasionPar Tamara Bélisle, Directrice des loisirs.

Aventure Évasion Adaptée est un organisme à but non-lucratif qui vise à aider les gens ayant une déficience intellectuelle ou physique. Elle a été créée par Xavier Sanchez en 2004 puis par manque de temps, il avait cessé et c’est en octobre 2014, qu’il m’a offert la direction de l’organisme. Nous sommes un trio, Xavier Sanchez, Président, Giuseppe Sorgente, Directeur général puis moi, Tamara Bélisle, Directrice des loisirs, qui désirent apporter un plus dans la vie de ces gens-là. Ce projet nous tient énormément à cœur, et ensemble, nous souhaitons faire LA différence. Nous souhaitons offrir une vie sans limitation aux gens qui en sont atteints, tout comme moi.

Le but premier d’aventure évasion adaptée est d’organiser des activités qui sortent de l’ordinaire pour les gens ayant une déficience de tout type. C’est certain que je ne me suis pas arrêtée là. Nous aurons aussi des conférences, des soupers, un gala, du parrainage, un journal mensuel et je donnerai aussi des conférences dans les écoles pour sensibiliser les gens à faire attention puis à réfléchir avant de poser un geste car parfois, ça peut radicalement changer une vie. Bien entendu, nous avons toujours besoin de bénévoles pour nos activités ou pour nous aider à organiser les événements.

Je crois être la bonne personne pour m’occuper de cet organisme car le 18 mai 2012 à 24h22, j’ai eu un grave accident qui depuis, me prive de mes jambes. Je suis en fauteuil roulant depuis 2 ans et 7 mois. Je peux confirmer que ce n’est pas facile comme épreuve puis un jour ou l’autre, on a tous envie de mourir. Aujourd’hui, je me considère chanceuse d’avoir traversé cette épreuve aussi vite avec autant de force. Je suis fière de dire que je suis une personne entière malgré tout et c’est ce que je veux offrir aux gens qui traversent sensiblement le même genre d’épreuve. Si dans toute ma vie je peux aider une personne à ne pas tenter de se suicider, je vais avoir rempli le mandat que je me suis fixé.

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Nos bureaux sont situés dans les locaux de Handi-Service à Saint-Hubert. Cette compagnie d’adaptation de véhicule ayant adapté le mien, parraine l’organisme.

 

 

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